Coup de tonnerre dans l’univers de la mode et de l’art. Le créateur français Jean-Paul Gaultier, célèbre pour sa marinière, vient d’être assigné par le musée des Offices de Florence pour « usage non autorisé de la Vénusde Botticelli ». En effet, « la maison de couture a utilisé l'image du chef-d’œuvre conservé au musée [...] pour réaliser plusieurs vêtements, dont elle a publié des photos sur son site et les réseaux sociaux ».
En 1993, l’Italie s’est dotée d’un Codice dei beni culturali e del paesaggio (Code du patrimoine culturel et du paysage) qui permet la libre utilisation de l’image des œuvres d’art si elle est faite à titre privé ou à des fins scientifiques, éducatives ou informatives. En revanche, son utilisation à des fins commerciales doit fait l’objet d’une autorisation spécifique accompagnée du paiement d’une redevance d’utilisation. C’est d’ailleurs sur ce point que se fonde aujourd’hui le musée des Offices.
L’intérêt de cette affaire est donc l’apparente contradiction entre le domaine public du droit d’auteur européen et le domaine public de la propriété publique italienne. En effet, l’article 14 de la Directive 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique prévoit que « lorsque [la durée de protection d’une œuvre] est arrivée à expiration, tout matériel issu d’un acte de reproduction de cette œuvre ne peut être soumis au droit d’auteur ni aux droits voisins, à moins que le matériel issu de cet acte de reproduction ne soit original, en ce sens qu’il est la création intellectuelle propre à son auteur ». Aussi, la loi italienne en protégeant ses biens nationaux en dehors de toute durée de protection – l’œuvre de Botticelli n’est plus soumise à de quelconque droit d’auteur – ne serait-elle pas sans contradiction avec le droit de l’Union européenne ? C’est ici que résidera peut-être l’enjeu du contentieux à venir car si la culture ne relève pas d’une compétence exclusive de l’Union européenne, faudrait-il y voir une « exception culturelle italienne » ? Le doute est permis.
Cette storietta peut prêter à sourire mais la question est d’importance en France car, depuis plusieurs années, se pose la question de savoir si l’image d’un bien public, mobilier ou immobilier, appartient à sa personne publique !
Pour comprendre les ressorts de l’image des biens publics, il est nécessaire de tracer les limites entre le possible et l’interdit pour sécuriser l’utilisation et l’exploitation des photographies.
Après une longue construction jurisprudentielle, il est désormais admis la libre photographie et reproduction d’un bien détenu par une personne privée. En effet, la Cour de cassation a réfuté l’idée d’un droit exclusif du propriétaire sur l’image de ses biens et a simplement replacer l’utilisation de l’image sur le terrain de la responsabilité en présence d’un trouble anormal (Cass. ass. plén., 7 mai 2004, n° 02-10.450).
Néanmoins, il en va autrement lorsque le bien est soumise au droit d’auteur. Dans ce cas, la prise de vue et l’utilisation, autrement dit la représentation ou la reproduction intégrale ou partielle, doit être faite avec le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit (C. propr. intell., art. L. 122-4). En revanche, 70 ans après le décès de l’auteur l’œuvre tombe dans le domaine public du droit d’auteur et tout un chacun peut librement capter et utiliser l’image, à condition de respecter le droit moral qui demeure perpétuel.
Ainsi, la prise de vue et l’utilisation de l’image de l’Arc de Triomphe ou de la Tour Eiffel sont libres de droits, mais une autorisation sera nécessaire pour une utilisation commerciale lorsqu’ils sont photographiés de nuit, leurs éclairages étant protégés par le droit d’auteur ! Il en va de même pour la captation de La Joconde de Léonard de Vinci mais impossible pour un Balloon Dog de Jeff Koons.
Toutefois, le droit patrimonial peut lui-même être mis en échec, par le législateur soit à travers l’exception de « liberté de panorama » (C. propr. intell., art. L. 122-5, 11°), ou par la possibilité de reproduire et de représenter des œuvres protégées notamment par voie de presse dans un but exclusif d’information immédiate ou encore par le bénéfice de la copie à usage privé (Respectivement : C. propr. intell., art. L. 122-5, 9° et 2°), tandis que la jurisprudence admet la libre reproduction ou représentation accessoire d’une œuvre de l’esprit qui s’intègre dans un lieu public, bien que sa portée soit fréquemment discutée.
À la suite d’âpres contentieux, il est désormais certain qu’aucune autorisation n’est nécessaire pour diffuser les images des biens publics qui ne sont plus protégés par le droit d’auteur, ainsi que l’a rappelé le Conseil d’État (CE, 13 avr. 2018, nº 397047).
Pour contrer cette « libéralisation », un passe-passe du législateur a depuis octroyé un régime d’exception à certains biens immobiliers « nationaux » tels que ceux de Chambord, du Louvre et des Tuileries, du château d’Angers ou du palais de l’Élysée (C. patr., art. R. 621-98). En effet, l’article L. 621-42 du Code du patrimoine prévoit que « l’utilisation à des fins commerciales de l’image des immeubles qui constituent les domaines nationaux, sur tout support, est soumise à l’autorisation préalable du gestionnaire de la partie concernée du domaine national ».
La prudence est donc de mise pour les particuliers et les entreprises qui souhaitent photographier et exploiter l’image des biens privés et publics en tout sérénité. Il convient de s’assurer de l’origine du bien photographié et des possibles conditions pour la reproduire librement sur l’Internet, dans des livres, des publicités ou sur des vêtements !
L’Équipe IP/IT – DATA
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