La propriété intellectuelle répond à une logique différente de celle du droit du travail. L’articulation entre les deux se doit d’être réalisée car, en pratique, le lien de subordination n’est pas un blanc-seing pour l’employeur et il n’y a pas de dévolution automatique des droits de propriété intellectuelle du salarié à l’employeur. En effet, le principe traditionnel est que l’auteur ou l’inventeur est le titulaire de ces droits sur sa création (Code de la propriété intellectuelle, articles L. 111-1, L. 511-9 et L. 611-6). Pour contourner cette difficulté, sans avoir besoin de recourir à de lourdes cessions de droits d’auteur à chaque création, l’entreprise peut recourir à la qualification d’œuvre collective pour être directement investie des droits d’auteur sur les réalisations de ses employés.
En effet, l’aliénation de la force créatrice par les employés au profit d’un supérieur hiérarchique constitue une exception permise par l’article L. 113-2, 3°, du Code de la propriété intellectuelle. Ce dernier définit l’œuvre collective comme : « L’œuvre créée sur l’initiative d’une personne physique ou morale qui l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom, et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l’ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un droit distinct sur l’ensemble réalisé ». Pour revendiquer cette qualité, l’entreprise doit encore s’assurer que l’œuvre a été créée à l’initiative et sous la direction de celle-ci et qu’il existe une fusion des contributions, empêchant l’attribution aux salariés de droits distincts.
En pratique, les juges ont tendance à retenir la qualification d’œuvres collectives en cas de réclamation de salariés ayant participé à un processus de création collectif (Cass. 1re civ., 10 déc. 2013, n° 12-26.409). Récemment, la Cour d’appel de Paris a ainsi pu débouter un créateur de mode au motif que la paire de baskets en cause résultait d’un travail en collaboration et sous la subordination de la directrice de style (CA Paris, 5 mai 2021, n° 19/17254), sous réserve bien évidemment que soit rapportée la preuve du chemin collectif de création.
En cas de contentieux, il reviendra à l’entreprise de démontrer que la création disputée par un employé est une œuvre collective. Il est donc important, et nécessaire, de s’inscrire dans une dynamique de protection par le secret des affaires qui permet d’auditer les créations créées en interne tout autant que de formaliser la remontée des droits de propriété intellectuelle à l’entreprise (réunions, cahiers de création, etc.). Cette remontrée peut être effectuée par une clause du contrat de travail indiquant que les œuvres créées seront présumées être des œuvres collectives en exécution de ce processus. On devine alors l’intérêt pour les entreprises de cartographier leurs patrimoines informationnels afin de vérifier la titularité effective des droits de propriété intellectuelle sur les œuvres qu’elles exploitent et de former les salariés à cette dynamique du secret des affaires.
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