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S’inspirer n’est pas parasiter

Parasitisme économique : Comment Maison du Monde et Décathlon protègent leurs créations


Décathlon vs Intersport : La bataille juridique autour du masque Easybreath

 

Si certains savoir-faire et concepts ne sont pas protégeables par des titres de propriété industrielle, ils peuvent être défendus par d’autres leviers juridiques, sous réserve d’une certaine valeur économique, en particulier par la voie de l’action en concurrence déloyale et parasitaire.

 

C’est sur ce terrain que la chambre commerciale de la Cour de cassation, par deux arrêts du 26 juin 2024 (pourvoi n°22-17.647 et n° 23-13.535), est venue préciser les conditions requises pour consacrer une situation de parasitisme économique.

 

Dans ces deux affaires, la Cour de cassation s’est repenchée sur la notion de parasitisme économique et a tenté d’apporter des clarifications juridiques essentielles concernant les conditions à réunir pour caractériser le parasitisme, tout en établissant des exigences accrues pour la protection des actifs immatériels et de la propriété intellectuelle.

 

Le parasitisme économique et la concurrence déloyale : définition

 

Le parasitisme économique est une forme particulière de concurrence déloyale. Définie par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, il consiste, pour une entreprise, à se placer dans le sillage d’un autre opérateur économique pour profiter, sans bourse délier, de ses efforts, de son savoir-faire, de sa notoriété ou de ses investissements, sans pour autant déployer elle-même les ressources nécessaires à la création ou à la commercialisation d’un produit ou d’un concept. Le parasitisme constitue une faute délictuelle, au sens de l’article 1240 du Code civil.

 

La jurisprudence a progressivement précisé les critères permettant d’établir des agissements parasitaires fautifs. La Cour de cassation, dans plusieurs arrêts récents, a notamment souligné que trois conditions devaient être remplies pour caractériser un acte de parasitisme économique :

 

  1. Existence d’une valeur économique individualisée : Le produit ou service concerné doit bénéficier d’une valeur propre, liée à des efforts spécifiques en termes de conception, d’innovation ou de commercialisation. Il peut s’agir d’investissements importants dans la recherche et développement, d’une campagne de marketing massive ou d’un savoir-faire particulier.​​​​​​
  2. Volonté de se placer dans le sillage du concurrent : Le comportement du concurrent parasitaire doit démontrer une intention délibérée de profiter du succès commercial ou de la notoriété d’un produit ou d’un service sans engager de frais comparables. Le parasitisme se distingue de la concurrence légitime, car il repose sur l’idée d’un enrichissement sans cause, c’est-à-dire que le parasite s’appuie sur les efforts de l’entreprise victime pour obtenir des avantages indus.
  3. Absence de prise de risques ou d’investissements équivalents : Contrairement à l’entreprise victime qui a investi du temps, de l’argent et des ressources pour concevoir et promouvoir son produit, le parasite n’a pas engagé de dépenses proportionnelles. Il s’agit ici de la clé de voûte de la distinction entre concurrence loyale et concurrence parasitaire : alors que la concurrence loyale repose sur des efforts concurrentiels propres, le parasitisme se contente de copier ou d'exploiter les résultats des efforts d’autrui.

Ainsi, sont susceptibles d’être qualifié d’agissements parasitaires :

  • L’usurpation d’un signe de ralliement de la clientèle (marque)
  • Rattachement à la marque d’un concurrent par des liens hypertextes, de nature à induire une confusion ou un détournement du consommateur sur Internet
  • Cybersquatting

Etc.

 

A l’inverse, la simple reprise d’une idée ou d’un concept ne constitue pas automatiquement un acte de parasitisme, les idées étant de libre parcours : elles ne peuvent être protégées par des droits privatifs de propriété intellectuelle tels que les brevets ou les droits d’auteur. Dès lors, pour qu’un acte de parasitisme soit reconnu, il faut démontrer que le produit ou le service en cause constitue une valeur économique individualisée, résultant d’un investissement significatif et identifiable​.

 

L’enjeu de la preuve du parasitisme : appréciation de la valeur économique réelle et individualisée

 

Affaire Maison du Monde contre Auchan, pourvoi n°22-17.647

 

Maison du Monde reprochait à Auchan d’avoir commercialisé des articles d’art de la table reproduisant un motif décoratif « vintage ». A l’appui de ses prétentions, Maison du Monde a argué que ce motif particulier était une création de 2010, produite par son bureau d’étude de style, et qui a ensuite été dupliqué, notamment sur un tableau sur support toile, et présenté à sa clientèle sous le nom « pub 50’s ». La Cour d’appel de Rennes, n’ayant pas entendu les arguments de Maison du Monde, a rejeté l’action.

 

La Cour de cassation a rejeté le grief de parasitisme, considérant que la société demandeuse ne démontre pas que les objets en cause, au décor vintage, présente une valeur économique réelle et individualisée.

 

La Cour a précisé que la notoriété ou le succès commercial d’un produit ne suffisent pas à démontrer cette valeur. Il est nécessaire de prouver un véritable travail de conception ou d’innovation, ainsi que des investissements publicitaires ou marketing qui permettent de distinguer clairement le produit du reste du marché​.

 

Cette décision pose une limite substantielle : un produit générique ou qui tire son inspiration de tendances de marché ne sera pas protégé contre la reprise par un concurrent, à moins de pouvoir justifier d'efforts importants pour le développer et le promouvoir.

 

Or, dans les secteurs concurrentiels de la mode et de la décoration, le curseur entre la part d’inspiration des tendances de marché et la part de conception innovante (outre l’éternel recommencement des tendances et le goût du vintage) est souvent difficile à placer.

 

La lutte contre le parasitisme : l’enjeu d’une protection adéquate

 

Dans le cadre de la 2nde affaire (pourvoi n° 23-13.535), la Cour de cassation a pris une position distincte, et a consacré l’existence d’un acte de parasitisme. 

 

Décathlon avait initié une action en parasitisme à l’endroit de son concurrent Intersport, pour avoir commercialisé des masques de plongée reproduisant l’un de ses modèles phare (masques intégraux avec Tuba). La Cour d’appel de Paris ayant fait droit à Décathlon, la société défendresse s’est pourvue en cassation.

 

Decathlon accusait Intersport d’avoir reproduit son masque de plongée intégral, dénommé « Easybreath » - qui connait un très grand succès - sans engager les mêmes efforts en matière de recherche, de développement et de marketing.

 

Le masque en cause étant protégé par des brevets et soutenu par des investissements publicitaires spécifiques et considérables. Il est intéressant de relever que, si Décathlon a pu invoquer la protection de son brevet, sur le fondement de la contrefaçon, c’est sur le terrain du parasitisme, par l’exploitation commerciale non justifiée d’un produit similaire, qu’Intersport a été sanctionné.

 

La Cour a considéré que ce produit constituait une valeur économique individualisée, en raison des efforts significatifs de recherche et développement et des frais marketing qui avaient permis de le faire connaître auprès du grand public. Ainsi, si l’existence du brevet n’a pas permis à Décathlon de se défendre sur le terrain de la contrefaçon, elle matérialise sans nul doute les investissements opérés autour du produit.

 

La Cour a ainsi constaté qu’Intersport a délibérément cherché à s’insérer dans le sillage du succès de l’entreprise plaignante, en profitant des efforts déjà fournis par cette dernière.

 

Implications pour les entreprises : durcissement de l’appréciation du parasitisme et limites de protection

 

Ces décisions de la Cour de cassation ont un impact direct sur la manière dont les entreprises peuvent défendre leurs actifs immatériels et leur propriété intellectuelle, la simple réussite commerciale d’un produit n’étant pas suffisante pour consacrer sa valeur économique individualisée.

 

Pour se prémunir efficacement contre les pratiques déloyales et parasitaires, il appartient aux entreprises d’anticiper le risque, de renforcer leur stratégie de protection des actifs immatériels, par différents moyens :

 

En établissant une documentation rigoureuse des efforts de conception (Recherche et Développement, Financement du Bureau d’études, etc), et des investissements (communication, marketing, frais publicitaires), en particulier autour des produits phares que l’entreprise souhaite valoriser. Cette documentation présente un double intérêt, car elle permet en cas de litige de démontrer la valeur économique individualisée du produit, tout en assurant la preuve de la remontée effective des droits inhérents à la création et l’innovation au bénéfice du donneur d’ordre ; en protégeant efficacement les actifs par des titres de propriété industrielle (brevets, marques, dessins et modèles, dépôts APP, etc.) ; en structurant une image de marque forte, vecteur de différenciation des entreprises, dans des secteurs de plus en plus concurrentiels, dans une perspective de développement de la notoriété ; en déployant une dynamique de secret des affaires, afin d’identifier, en amont de toute commercialisation, les informations et savoir-faire à forte valeur ajoutée (cartographie), pour en organiser la protection par le secret et préserver l’avantage concurrentiel.

 

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